Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en lui un état très particulier qui se rencontre, mais passagèrement, chez un petit nombre de jeunes hommes destinés pour la plupart à devenir des artistes ou des écrivains, et, d’une manière plus fixe, chez beaucoup de jeunes femmes, mécontentes de leur sort ou dépourvues de stricts devoirs. Cet état, bien plus redoutable pour la sage hygiène de l’avenir que ne le sont de banales débauches, a été profondément défini d’un mot célèbre par le plus humain et le plus troublé des Pères de l’Église. Il consiste à trop aimer à aimer, — maladie inoffensive quand elle est courte, périlleuse et féconde en conséquences funestes lorsqu’elle se prolonge. Celui qui aime ainsi à aimer se complaît dans le mirage de romans à vide que la réalité, semble-t-il, dissipera aussitôt. En fait, il s’habitue peu à peu à juger insignifiant tout ce qui ne se rapporte pas de près ou de loin aux passions de l’amour. Les intérêts et les devoirs de son métier reculent dans sa pensée à une place secondaire. Le rêve généreux et viril de fonder une famille, celui de servir une haute cause idéale de science, d’art ou de politique, celui plus personnel de se distinguer par des triomphes de carrière, — ces divers principes de robuste activité s’affaiblissent, s’étiolent, disparaissent pour laisser la place à la constante préoccupation de l’indéfini lendemain sentimental. Quand arrivera-t-il, ce lendemain, et quel