Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/66

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dans les fibres les plus secrètes, et, en y songeant, comme il faisait dans cette après-midi de solitude, il n’arrivait même pas à comprendre la raison profonde des étranges troubles auxquels avait abouti presque aussitôt l’espérance, coupable sans doute, mais pourtant si haute, lui semblait-il à distance, de ce début de tendresse. Malgré cette perspective du temps qui permet de tout pardonner, parce qu’elle permet de discerner l’élément de fatalité mêlé aux plus réfléchis de nos actes, il ne se rendait pas compte qu’un malentendu, en apparence insignifiant, en réalité irrémédiable, avait voué par avance cet amour aux crises les plus douloureuses. Pauline et Francis s’étaient en effet aimés, idolâtrés, possédés, avant, pour ainsi dire, de se connaître l’un l’autre. Leurs cœurs s’étaient donnés et leurs personnes, avant qu’ils eussent acquis une notion exacte sur leurs caractères. La jeune femme ne savait du jeune homme que les traits dont lui avait parlé Julie. Elle avait vu en lui un frère désespéré, un isolé sans bonheur, un romanesque resté sans roman. Il était tout cela, mais aussi une sensibilité infiniment complexe et blessable, une imagination corrompue, défiante déjà et tourmentée, un soupçonneux et un inquiet, un esprit horriblement gâté par l’abus de la réflexion et de la rêverie, enfin une âme maladroite au bonheur, dans laquelle une passion mêlée de