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Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/84

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le second, des remords trop âcres noyaient son cœur d’amant tyrannique et qui voudrait pourtant le bonheur de ce qu’il martyrise. L’une et l’autre impression exaspérait en lui l’inquiétude. L’une et l’autre le portait à enivrer son misérable amour avec ce vin des sens dont les dernières et funestes gouttes distillent en nous un si honteux appétit de férocité. Lui, l’amant romanesque, compliqué, qui avait passé sa première jeunesse à rêver de subtiles émotions, il effrayait sa pauvre amie maintenant par l’âpreté de sa fougue sensuelle. À chacun de leurs rendez-vous, c’étaient entre eux des étreintes sans paroles, des baisers violents et sans douceur, la palpitation éperdue de deux êtres qui cherchent l’oubli, et quel oubli ! Celui d’eux-mêmes, celui de l’amour dont ils souffrent en s’en grisant ! — Et ils oubliaient, en effet, mais pour se réveiller de ces folies avec cette amertume irritable qui est la rançon fatale de nos dégradations, lui plus soupçonneux, elle plus révoltée. À ces minutes-là, les moindres discussions s’exaltent en querelles, la bravade suit l’outrage et le provoque. Ce sont des bouffées outrageantes de soupçon à propos de tout. Les plus innocentes gaietés deviennent des crimes : avoir dansé deux fois avec le même danseur, avoir causé trop longtemps en aparté avec celui-ci, avoir eu celui-là à déjeuner. Être sortie plusieurs fois avec une amie, c’est l’avoir pour complice