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LE DISCIPLE

et je vous aurai prouvé deux fois, par ma confiance dans votre absolue discrétion et par mon appel à votre appui philosophique, ce que vous avez été pour celui qui vous écrit ces lignes et qui, en vous demandant pardon de ce trop long préambule, commence aussitôt sa dissection. Je saurai bien vous la faire tenir, une fois finie.


I

Mes hérédités.


« Aussi loin que je remonte en arrière dans mon passé, je constate que ma faculté dominante, celle qui s’est trouvée présente à travers toutes les crises de ma vie, petites ou grandes, comme elle se retrouve présente aujourd’hui, a été la faculté, j’entends le pouvoir et le besoin du dédoublement. Il y a toujours eu en moi deux personnes distinctes : une qui allait, venait, agissait, sentait, et une autre qui regardait la première aller, venir, agir, sentir, avec une impassible curiosité. À l’heure actuelle, et tout en sachant que je suis là en prison, accusé d’un crime capital, perdu d’honneur et aussi accablé de tristesse, que c’est bien moi, Robert Greslou, né à Clermont le 5 septembre 1864… et non pas un autre, — je pense à cette situation comme à un spectacle auquel je demeure étranger. Même est-il juste de dire je ? Non, évidemment. Car mon véritable moi n’est, à proprement parler, ni celui qui souffre,