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LE DISCIPLE

ni celui qui regarde. Il est composé des deux, et j’ai eu de cette dualité une perception très nette, bien que je ne fusse pas capable alors de comprendre cette disposition psychologique exagérée jusqu’à l’anomalie, dès mon enfance, — cette enfance que je veux évoquer d’abord en essayant de tout abolir de l’heure présente et avec l’impartialité d’un historien désintéressé.

Mes premiers souvenirs me représentent cette ville de Clermont-Ferrand, et dans cette ville une maison qui donnait sur une promenade aujourd’hui bien changée par la récente construction de l’école d’artillerie : le cours Sablon. La maison était bâtie, comme toutes celles de cette ville, en pierre de Volvic, une pierre grisâtre dans sa nouveauté, puis noirâtre, qui donne aux rues tortueuses une physionomie de cité du Moyen Âge. Mon père, que j’ai perdu tout jeune, était d’origine lorraine. Il occupait à Clermont la place d’ingénieur des ponts et chaussées. C’était un homme chétif, de santé faible, avec un visage à la barbe rare, empreint d’une sérénité mélancolique et qui m’attendrit quand j’y songe, après des années. Je le revois dans son cabinet de travail, par les fenêtres duquel s’apercevait la plaine immense de la Limagne avec la gracieuse éminence du puy de Crouël tout auprès, et au loin la ligne sombre des montagnes du Forez. La gare était voisine de notre maison, et le sifflement