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LE DISCIPLE

— « Il entend une autre messe à son heure ; et puis, je t’ai déjà dit que les enfants ne doivent jamais demander pourquoi leurs parents font telle mi telle chose… »

Toute la différence d’âme qui nous a séparés, ma mère et moi, tenait déjà dans cette phrase qu’elle prononçait par un froid matin d’hiver, en revenant sous les arbres du cours Sablon. Je vois encore sa pèlerine, ses mains ans son manchon de vison doublé de soie brune d’où sortait à moitié son livre, la sincérité de son visage même dans son pieux mensonge, et tandis qu’elle disait : « Il ne faut jamais demander pourquoi… » Je vois ses yeux qui, trop souvent depuis lors, m’ont regardé d’un regard qui ne me comprenait pas, et, dès cette époque, elle ne soupçonnait en rien ma nature d’enfant méditatif pour lequel penser c’était déjà se demander toujours et à propos de toutes choses : Pourquoi ?… Oui, pourquoi la mère m’avait-elle trompé ? Car je savais que mon père n’allait à aucune espèce d’office. Et pourquoi n’y allait-il pas ?… Les graves et tristes accents des moines cachés entonnaient les répons de la messe, et moi, je me perdais dans cette question. Je savais, sans bien apprécier les motifs de cette supériorité, que mon père comptait parmi les premiers de la ville. Que de fois, à la promenade, étions-nous, lui et moi, arrêtés par quelque ami, qui, tapotant ma joue, me disait : « Hé bien, nous