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LE DISCIPLE

des Dômes. L’échancrure des cratères éteints, la boursouflure des éruptions calmées, les coulées de lave refroidie donnent aux lignes de ces montagnes volcaniques une ressemblance avec les paysages que le télescope découvre dans ce cadavre de planète qui est la lune. C’est donc, là-bas, un sauvage et grandiose souvenir des plus terribles convulsions du globe, et, ici, la plus jolie rusticité de chemins pierreux entre des vignes, de ruisseaux murmurant sous des saules et parmi des châtaigniers. Les grands bonheurs de mon enfance ont consisté dans d’interminables vagabondages avec mon père sur tous les sentiers qui vont ainsi du puy de Crouël à Gergovie, de Royat à Durtol, de Beaumont à Gravenoire. Rien qu’à écrire ces noms, ma mémoire rajeunit mon cœur. Me revoici le petit garçon qu’un portrait conservé me montre avec ses longs cheveux, avec ses jambes serrées dans des guêtres de drap, qui chemine en tenant la main de son père. D’où lui venait ce goût des champs, à lui, le savant mathématicien, l’homme de cabinet et de réflexion abstraite ? J’y ai souvent songé depuis, et je crois avoir découvert à son occasion une loi peu connue du développement des esprits : — nos goûts de jeunesse persistent même quand nous nous sommes développés dans un sens contraire à eux, et nous continuons de les pratiquer, en les justifiant par des raisons intellectuelles qui les exclu-