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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/111

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LE DISCIPLE

raient. — Je m’explique. Mon père aimant la campagne, naturellement, parce qu’il avait été élevé dans un village, que tout petit il avait passé des journées entières au bord des ruisseaux, parmi les insectes et les fleurs. Au lieu de s’abandonner à ses goûts d’une manière simple, il y mélangeait ses préoccupations actuelles de savant. Il ne se serait point pardonné d’aller dans la montagne sans y étudier la formation du terrain ; de regarder une fleur sans en déterminer les caractères et sans en découvrir le nom ; de ramasser un insecte sans se rappeler sa famille et ses mœurs. Grâce à la rigueur de sa méthode en tout travail, il était arrivé ainsi à une connaissance très complète de la contrée ; et, quand nous marchions ensemble, cette connaissance faisait la matière unique de notre entretien. Le paysage des montagnes lui devenait un prétexte pour m’expliquer les révolutions de la terre. Il passait de là, sans efforts, avec une clarté de parole qui me rendait de telles idées perceptibles, à l’hypothèse de Laplace sur la nébuleuse, et j’apercevais distinctement en imagination les protubérances planétaires s’échappant du noyau enflammé, de ce torride soleil en rotation. Le ciel de la nuit, par les beaux mois d’été, devenait une espèce de carte qu’il déchiffrait pour mes yeux de dix ans, et où je distinguais l’Étoile polaire, les sept étoiles du Chariot, Véga de la Lyre, Sirius, tous ces univers inaccessibles et for-