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LE DISCIPLE

vérité, pour le même bizarre motif. Jouer un rôle à côté de ma vraie nature m’apparaissait comme un enrichissement de ma personne, tant j’avais d’instinct le sentiment que se déterminer dans un caractère, une croyance, une passion, c’est se limiter. Ma mère, elle, est une femme du Midi, absolument rebelle à toute complexité, pour qui les idées de choses sont seules intelligibles. Dans son imagination les formes de la vie se reproduisent, concrètes, précises et simples. Quand elle pense à la religion, elle voit son église, son confessionnal, la nappe de la communion, les quelques prêtres qu’elle a connus, le livre de catéchisme où elle a étudié petite fille. Quand elle pense une carrière, elle en voit l’activité positive et les bénéfices. Le professorat, par exemple, où elle a désiré que j’entrasse, c’était pour elle M. Limasset, le professeur de mathématiques, l’ami de mon père, et elle me voyait pareil à lui, traversant la ville deux fois le jour, en jaquette d’alpaga et en panama l’été, les pieds protégés, l’hiver, par des socques et le corps pris dans un paletot fourré, avec un traitement fixe, les revenants-bons des répétitions et la douce assurance d’une retraite. J’ai pu étudier à propos d’elle combien cette nature d’imagination rend ceux qu’elle domine incapables de se figurer l’intérieur des autres âmes. On dit souvent de ces gens-là qu’ils sont despotiques et personnels, ou qu’ils ont un mauvais caractère. En