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LE DISCIPLE

commençais à me compliquer déjà en pensant trop à moi-même. Si j’ai de bonne heure senti qu’au rebours de la parole du Christ, je n’avais pas de prochain, c’est que je me suis habitué, de très bonne heure, à exaspérer la conscience de ma propre âme, par suite à faire de moi un exemplaire, sans analogue, d’excessive sensibilité individuelle. Mon père m’avait doué d’une curiosité prématurée d’intelligence. N’étant plus là pour me tourner vers le monde des connaissances positives, cette curiosité sans emploi retomba sur moi-même. L’esprit est une créature vivante, comme les autres, et chez qui toute puissance s’accompagne, comme chez les autres, d’un besoin. Il faudrait retourner le vieux proverbe et dire : Pouvoir, c’est vouloir. Une faculté aboutit toujours à la volonté de l’exercer. L’hérédité mentale et ma première éducation avaient fait de moi un intellectuel avant le temps. Je continuai de l’être, mais mon intelligence s’appliquant à mes propres émotions, faute d’un maître semblable à celui que j’avais perdu, je devins auprès de ma mère, qui ne le soupçonna jamais, un égotiste absolu, d’une extraordinaire énergie de dédain à l’égard de tous. Ces traits de mon caractère ne devaient d’ailleurs apparaître que plus tard, sous l’action des crises d’idées que j’ai traversées et dont je vous dois maintenant l’histoire.