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LE DISCIPLE

Stances à la Malibran, d’Alfred de Musset, quelques morceaux de Sainte-Beuve et le Leconte de Lisle. Ces pages, deux cents environ, me suffirent pour apprécier la différence absolue d’inspiration entre les modernes et les maîtres anciens, comme on apprécie la différence d’arôme entre un bouquet de roses et un bouquet de lilas, les yeux fermés. Elle réside tout entière, cette différence que je devinai par un instinct irraisonné, dans ce fait que, jusqu’à la Révolution, les écrivains n’ont jamais pris la sensibilité comme matière et comme règle unique pour leurs œuvres. C’est le contraire depuis Quatre-Vingt-Neuf. De là résulte chez les nouveaux un je ne sais quoi d’effréné, de douloureux, une recherche de l’émotion morale jusqu’au morbide, et qui tout de suite m’attira d’un attrait irrésistible. La sensualité mystique des stances du Lac et du Crucifix, les chatoyantes splendeurs de plusieurs Orientales, me fascinèrent ; mais surtout je fus séduit, à en avoir une fièvre physique, par ce qu’il traine de coupable dans l’éloquence de l’Espoir en Dieu et dans quelques fragments des Consolations. Ces fuyantes complications du péché dont je vous parlais tout à l’heure, je les pressentis par delà les morceaux choisis de mon livre de classe ; et je commençai d’avoir pour les œuvres des écrivains ainsi devinés une de ces curiosités d’imagination si fortes, presque folles, qui mar-