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LE DISCIPLE

quent le milieu de l’adolescence. On est sur le bord de le vie. On l’entend déjà sans la voir, comme la rumeur d’une chute d’eau à travers un bouquet d’arbres, et comme ce bruit vous enivre d’attente !… Une relation d’amitié avec un camarade qui habitait au premier étage de ma maison exaspéra encore cette curiosité. Cet ami, que je devais perdre trop jeune et qui s’appelait Émile, était aussi un liseur acharné, mais, plus heureux que moi, il ne subissait aucune surveillance. Son père et sa mère, âgés déjà, vivaient sur de petites rentes et passaient les longues heures de leur journée à jouer, devant la fenêtre qui regardait la rue du Billard, d’interminables parties de mariage avec un jeu de cartes acheté dans un café et qui sentait encore l’odeur du tabac. Émile, lui, seul dans sa chambre, pouvait s’abandonner à toutes les fantaisies de ses lectures. Comme nous suivions la même classe, que nous allions au lycée ensemble et que nous en revenions de même, ma mère me permettait volontiers de passer des heures entières chez ce charmant enfant, auquel je fis bientôt partager mon goût pour les vers que j’admirais si vivement, et mon désir d’en mieux connaître les auteurs. Nous prenions, pour nous rendre au collège, les rues étroites de la vieille ville, et nous passions devant l’étalage d’un vieux libraire auquel nous avions acheté quelques ouvrages classiques d’occasion. Que