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LE DISCIPLE

étaient d’excellentes ménagères ; — que son fils ainé, le comte André, se trouvait chez lui pour quinze jours et que je n’eusse pas à me froisser de sa brusquerie, car elle cachait le meilleur des cœurs ; — que son autre fils Lucien avait été très souffrant et que la grosse affaire était surtout de lui rendre la santé. Puis, sur ce mot de santé, il partit, partit, et après une heure de confidences sur ses migraines, ses digestions, ses sommeils, ses maux passés, présents et futurs, fatigué sans doute par l’air vif et par ce flux de paroles, il s’endormit dans le coin de la voiture. Je me souviens si nettement des plans que je roulais dans ma tête, tandis que, délivré de ce fâcheux, l’objet déjà de mon plus entier mépris, je regardais le beau paysage que nous traversions entre des montagnes ravinées et des bois jaunis par l’automne, avec le puy de la Vache à l’horizon, dont le cratère s’échancre, tout déchiré, tout rouge de poussière volcanique ! Ce que j’avais vu déjà du marquis, ce que ses discours m’annonçaient de sa maison, aurait suffi, si je n’avais pas été préparé à cette idée par avance, pour me convaincre que j’allais être exilé parmi ceux que j’appelais les barbares. Je donnais ce nom, depuis des années, aux personnes que je jugeais irréparablement étrangères à la vie intellectuelle.

La perspective de cet exil ne m’effrayait pas. La doctrine d’après laquelle je devais régler mon