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LE DISCIPLE

et je comptais sur la solitude du château pour m’affranchir de toute tentation et pratiquer dans sa pleine rigueur la grande maxime du Sage ancien : « Faire remonter tout son sexe dans son cerveau, » Ah ! cette idolâtrie de mon cerveau, de mon Moi pensant, je l’ai eue si forte que j’ai songé à étudier les règles monastiques pour les appliquer à la culture de cette pensée. Oui, j’ai projeté de faire tous les jours mes méditations, comme les moines, sur les quelques articles de mon credo philosophique, de célébrer chaque jour, comme les moines, la fête d’un de mes saints à moi, de Spinoza, de Hobbes, de Stendhal, de Stuart Mill, de vous, mon cher maître, en évoquant l’image et les doctrines de l’initiateur ainsi choisi et m’imprégnant de son exemple. Je comprends que tout cela était très jeune et très naïf. Du moins, vous le voyez, je n’ai pas été celui que cette famille flétrit aujourd’hui, le plébéien intrigant qui rêve un beau mariage, et si l’idée de la séduction de Mlle de Jussat entra en effet dans mon esprit, ce fut implantée, inspirée, pour ainsi dire, par les circonstances.

Je ne vous écris pas pour me peindre sous un jour romanesque, et je ne vois pas pourquoi je vous cacherais que parmi ces circonstances, qui devaient me pousser vers cette entreprise de séduction, si éloignée de mes sentiments d’arrivée, la première fut l’impression produite sur