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LE DISCIPLE

intérieur que la propreté méticuleuse de ma mère sauvait seule de la misère. Je me réjouissais de n’éprouver aucune envie, pas le plus petit atome, devant ces signes d’une fortune supérieure, — ni envie, ni timidité. Je me tenais bien en main, sûr de moi-même et cuirassé contre toute vulgaire atteinte par ma doctrine, votre doctrine, et par la supériorité souveraine de mes idées. Je vous aurai tracé un portrait complet de mon âme à cette minute si j’ajoute que je m’étais promis, une fois pour toutes, de rayer l’amour du programme de ma vie. J’avais eu, depuis ma première aventure avec Marianne, une autre petite histoire que je vous ai passée sous silence, avec la femme d’un professeur du lycée, si absolument sotte et avec cela si ridiculement prétentieuse que j’en étais sorti raffermi plus que jamais dans mon mépris pour l’inintelligence de la « Dame », comme je disais d’après Schopenhauer, et aussi dans mon dégoût pour la sensualité. J’attribue aux profondes influences de la discipline catholique cette répulsion à l’égard de la chair qui a survécu en moi aux dogmes de la spiritualité. Je savais bien, par une expérience trop souvent répétée, que cette répulsion était insuffisante pour empêcher mes chutes dans le désir sensuel. Mais je savais aussi que ce désir naissait en moi, au temps de Marianne, par exemple, par la certitude de son assouvissement.