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LE DISCIPLE

était paisible, et qui m’eût dit que mon entrée marquait la fin de cette paix pour ces personnes qui se dessinent à cette seconde dans le champ de vision de mon souvenir avec une netteté de portraits ? J’aperçois le visage de la marquise d’abord, de cette grande et forte femme aux traits un peu gros, si différents de l’aspect que mon imagination ignorante eût donné à une grande dame. Elle était bien en effet la ménagère modèle dont m’avait parlé le marquis, mais une ménagère d’une éducation accomplie, et, tout de suite, rien qu’en me parlant de la belle journée que nous avions eue pour notre voyage, elle me mit à mon aise. J’aperçois le profil effacé de Mlle Élisa Largeyx, la gouvernante, et dans cette figure terne le sourire toujours approbateur de la vieille fille, — type innocent de servilité heureuse, d’une calme vie en complaisances et en félicités matérielles. J’aperçois la sœur Anaclet avec ses yeux de paysanne et sa bouche mince. Elle logeait en permanence dans le château pour servir de garde-malade au marquis, toujours préoccupé d’une attaque possible. J’aperçois le petit Lucien et ses grosses joues d’enfant paresseux. J’aperçois celle qui n’est plus, et sa taille fine dans sa robe claire, et ses yeux gris si doux dans leur pâleur, et ses cheveux châtains, et la coupe allongée de son visage, et le geste par lequel sa main offrait à son père et à moi une tasse de thé contre le froid