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LE DISCIPLE

encore, puisque je peux, moi, vous comprendre, et que je le défie de suivre un seul de mes raisonnements, même celui que je fais, à cette minute, sur nos rapports. Pour parler franc, je suis un civilisé, il n’est qu’un barbare. Hé bien ! j’ai subi aussitôt la sensation que mon affinement était moins aristocratique que sa barbarie. J’ai senti là, du coup, et dans les profondeurs de cet instinct de la vie, où la pensée descend avec tant de peine, la révélation de cette préséance de la race que la Science moderne affirme nettement et qui, vraie de toute la nature, doit être vraie aussi de l’homme. Pourquoi même le prononcer, cet inexact mot d’envie qui sert d’étiquette à des hostilités irraisonnées comme celle que m’inspira aussitôt le comte ? Pourquoi cette hostilité ne serait-elle pas héritée, elle aussi, comme le reste ? Une acquisition humaine quelconque, celle par exemple du caractère et de l’énergie active, suppose que, pendant des siècles et des siècles, des files d’individus, dont on est l’addition suprême, ont voulu et ont agi. L’acquisition d’une pensée puissante résume au contraire des files d’individus qui ont moins voulu que réfléchi, moins agi que médité. Durant cette longue succession d’années, une antipathie, tantôt lucide et tantôt obscure, a rendu les individus du premier groupe odieux aux individus du second, et quand deux représentants de ce souverain labeur des âges,