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LE DISCIPLE

précepteur, puis j’étais décidé à une dissimulation constante de mon vrai Moi, emprisonné chez des étrangers. Je ne professais pas plus de répugnance pour cette hypocrisie défensive, que le jardinier des Jussat n’en avait eu à empailler les groseilliers du jardin afin de conserver à travers les neiges et les gelées la fraîcheur de leurs fruits. Le mensonge d’attitude, qui m’a toujours attiré par mon goût natif de dédoublement, correspondait trop bien à mon orgueil intellectuel pour que je ne m’y adonnasse pas avec délices. Mais lui, le comte André, n’avait aucun motif pour rien me cacher de son caractère, et dès ce même soir qui suivit mon entrée dans la maison, à l’heure de nous retirer, il me pria de venir dans son cabinet afin de causer un peu. Il m’avait regardé à peine, et je compris tout de suite que son intention était, non pas de se mettre davantage en familiarité avec moi, mais de me donner ses idées, à lui, sur mon rôle de précepteur. Il occupait dans une aile un petit appartement composé de trois pièces : une chambre à coucher, une chambre à toilette et le fumoir où nous nous trouvions. Un grand divan drapé, quelques fauteuils, un large bureau, meublaient ce fumoir. Aux murs miroitaient des armes de toute provenance : fusils marocains rapportés de Tanger, sabres et mousquets du premier Empire, et un casque de soldat prussien que le comte me montra, presque aussi-