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LE DISCIPLE

la vanité d’enrichir mon intelligence d’une expérience nouvelle. Mais oui, c’est bien ce que j’ai voulu, et je ne pouvais pas ne pas le vouloir, dressé comme j’étais par ces hérédités, par cette éducation que je vous ai dites, transplanté dans le milieu nouveau où me jetait le hasard, et mordu, comme je le fus, par ce féroce esprit de rivalité envers cet insolent jeune homme, mon contraire ?

Et pourtant qu’elle était digne de rencontrer un autre que moi, qu’une froide et meurtrière machine à calcul mental, cette fille si pure et si vraie ! Rien que d’y songer me fend soudain le cœur et me déchire, moi qui me voudrais sec et précis comme un diagnostic de médecin. Elle, ce n’est pas dès le premier soir que je l’ai remarquée. Elle n’offrait pas au premier regard cette perfection des lignes du visage, cet éclat du teint, cette royauté du port qui font dire d’une femme qu’elle est très belle. Tout dans sa physionomie était délicatesse, effacement, demi-teinte, depuis la nuance de ses cheveux châtains jusqu’à celle de ses prunelles, d’un gris un peu brouillé, dans un visage ni trop pâle ni trop rose. Elle appelait nécessairement à l’esprit le terme de modeste, quand on étudiait son expression, et celui de fragile, quand on prenait garde aux finesses de ses pieds et de ses mains, à la grâce presque trop menue de ses mouvements. Quoiqu’elle fût plutôt petite, elle paraissait grande à cause de la pro-