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LE DISCIPLE

cable Nature, ont agi sans mon ordre et en se moquant des complications de mes analyses. Charlotte m’a aimé pour des raisons absolument différentes de celles qu’avait su aménager ma naïve psychologie. Elle est morte, désespérée, quand, à la lumière d’une explication tragique, elle m’a vu dans ma vérité. Alors je lui ai fait horreur, et elle m’a donné ainsi la preuve la plus irréfutable que mes subtiles réflexions n’ont jamais rien pu sur elle. J’ai cru résoudre dans cet amour un problème de mécanique mentale. Hélas ! j’avais tout uniment rencontré, sans en sentir le charme, une sincère et profonde tendresse. Pourquoi n’ai-je pas deviné alors ce que j’aperçois aujourd’hui avec la netteté de la plus cruelle évidence ? Égarée par les côtés romanesques de son être intime, c’était si naturel que cette enfant s’abusât sur mon compte. Mes longues études m’avaient acquis cet air un peu souffrant qui intéressera toujours l’instinctive charité féminine. D’avoir été élevé par ma mère m’avait donné des manières douces, une finesse de geste et de voix, un soin méticuleux de ma personne qui sauvaient mes gaucheries et mes ignorances. J’avais été présenté, par le vieux maître qui m’avait recommandé, comme un garçon d’une noblesse irréprochable d’idées et de caractère. C’en était assez pour qu’une jeune fille très sensible et très isolée s’intéressât à moi d’une façon très particulière. Hé bien ! je n’eus pas plus