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LE DISCIPLE

tôt reconnu cet intérêt, dans la promenade dont je vous ai parlé, que je pensai à en abuser au lieu d’en être touché. Qui m’eût vu seul dans ma chambre durant la soirée qui suivit cet après-midi, assis à ma table et écrivant, un gros livre d’analyse auprès de moi, n’eût jamais cru que c’était là un jeune homme d’à peine vingt-deux ans, en train de méditer sur les sentiments qu’il inspirait ou voulait inspirer à une jeune fille de vingt… Le château dormait. Je n’entendais plus quo le passage d’un valet de pied occupé à éteindre les lampes de l’escalier et des corridors. Le vent enveloppait la vaste bâtisse de son gémissement tour à tour plaintif et apaisé. Ce vent d’ouest est terrible sur ces hauteurs, où, parfois, il emporte d’une bourrasque toutes les ardoises d’un toit. Cette lamentation de la rafale a toujours augmenté en moi le sentiment de la solitude intérieure. Mon feu brûlait, paisible, et je griffonnais sur ce cahier à serrure, brûlé avant mon arrestation, le récit de ma journée et le programme de l’expérience que je me proposais de tenter sur l’esprit de Mlle de Jussat. J’avais recopié le passage sur la pitié qui se trouve dans votre Théorie des passions, vous vous souvenez, mon cher maître ; c’est celui qui commence : « Il y a dans ce phénomène de la pitié un élément physique et qui, chez les femmes particulièrement, confine à l’émotion sexuelle… » C’est