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LE DISCIPLE

dessus les cartes qu’elle tenait pour jouer avec son père, la jeune fille fût obligée de me voir. Je m’étais occupé d’hypnotisme, et j’avais en particulier étudié par le menu, dans votre Anatomie de la volonté, le chapitre consacré aux singuliers phénomènes de certaines dominations morales, que vous avez intitulé : Des demi-suggestions. Je comptais obséder de la sorte cette tête inoccupée, jusqu’à la minute propice où, pour compléter ce travail de hantise quotidienne, je me déciderais à lui raconter sur moi-même une histoire qui, justifiant mes tristesses et commentant mes attitudes, achevât d’accaparer cette imagination que je jugeais déjà troublée.

Cette histoire, je l’avais machinée savamment d’après deux des principes que vous posez, mon cher maître, au courant de votre beau chapitre sur l’Amour. Ce chapitre, les théorèmes de l’Éthique sur les passions, le livre de M. Ribot sur les Maladies de la volonté, étaient devenus mes bréviaires. Permettez-moi de vous rappeler ces deux principes, au moins dans leur essence. Le premier, c’est que la plupart des êtres n’ont de sentiment que par imitation ; abandonnés à la simple nature, l’amour, par exemple, ne serait pour eux, comme pour les animaux, qu’un instinct sensuel, aussitôt dissipé qu’assouvi. Le second, c’est que la jalousie peut très bien exister avant l’amour ; par suite, elle peut quelquefois le créer,