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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/210

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LE DISCIPLE

quelles je continuai. En les prononçant, ces phrases, je les trouvais moi-même trop maladroites, trop gauchement apprêtées. Je lui racontai donc que j’avais été fiancé à Clermont avec une jeune fille, mais secrètement. Je crus poétiser davantage cette aventure à ses yeux, en insinuant que cette jeune fille était une étrangère, une Russe de passage chez une de ses parentes. J’ajoutai que cette fille m’avait laissé lui dire que je l’aimais, qu’elle m’avait, elle aussi, dit qu’elle m’aimait. Nous avions échangé des serments, puis elle était partie. Un riche mariage s’offrait pour elle, et elle m’avait trahi pour de l’argent. J’eus soin d’insister sur ma pauvreté, jusqu’à laisser entendre que ma mère vivait presque uniquement de ce que je gagnais. C’était là un détail inventé sur place, car l’hypocrisie se redouble elle-même en s’exprimant. Enfin, ce fut une scène d’une comédie enfantine et scélérate, que je jouai sans grande adresse. Mais les raisons qui me déterminaient à mentir de la sorte étaient si spéciales qu’elles exigeaient une pénétration extraordinaire pour être comprises, une entente totale de mon esprit, presque votre génie d’observateur, mon cher maître. Le visible embarras de mon attitude pouvait si bien être attribué au trouble inséparable de pareils souvenirs. Comme j’étais resté de plein sang-froid en débitant cette fable, je pus, tandis que je parlais, observer Char-