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LE DISCIPLE

chal de Richelieu, le chapitre de Saint-Simon sur Lauzan, nous autorisent à dire que dix-neuf fois sur vingt l’audace et la familiarité physiques sont les plus sûrs moyens de créer l’amour. Cette hypothèse confirme d’ailleurs notre doctrine sur l’origine animale de cette passion. » Je me la récitais tout bas, cette phrase, tandis que je poursuivais avec Charlotte ces causeries littéraires, avec d’autant plus de conviction que la nature, comme je vous ai dit, parlait en moi, et que la présence de la jeune fille réveillait la brûlure de mes souvenirs les plus cuisants. Parfois, lorsque nous étions seuls ensemble quelques minutes, et qu’elle bougeait, que ses pieds marchaient vers moi, qu’elle respirait, que je la sentais vivante, l’ondée fiévreuse du désir courait dans mes veines, et il me fallait détourner mes yeux qui lui auraient fait peur. Je regardais sa main blanche feuilleter un livre, son doigt fin s’allonger pour me montrer une ligne. Si je la prenais pourtant, cette petite main, si je la serrais doucement, longuement, dans la mienne ? Je me disais que je le devais. Puis, je n’osais pas. — Souvent aussi, et lorsque nous n’étions plus en présence, il me semblait que l’audace me serait d’autant plus facile qu’elle serait plus complète. Je me promettais alors de la serrer dans mes bras, de coller ma bouche sur sa bouche. Je la voyais se trouvant mal sous ma caresse, domptée, foudroyée