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LE DISCIPLE

par cette brutale révélation de mon ardeur. Qu’arriverait-il ensuite ? Mon cœur battait à cette idée. Ce n’était pas la peur d’être chassé honteusement qui me retenait. Il était plus honteux pour mon orgueil de ne pas oser. Et je n’osais pas. Que de fois des résolutions plus folles encore m’ont tenu éveillé la nuit ! Je me levais de mon lit après des heures d’une agitation qui me voudrait le corps d’une sueur glacé. « Si j’allais maintenant dans sa chambre, » me disais-je ; « si je me coulais auprès d’elle ; si elle se réveillait enlacée à moi, nos lèvres unies, nos corps liés ?… » Je poussais la frénésie de ce projet jusqu’à ouvrir ma porte avec des précautions de voleur, je descendais un étage, je tournais par le corridor jusqu’à une autre porte, celle de Charlotte. C’était risquer d’être surpris et chassé, cette fois pour rien. Je posais ma main sur le loquet. Le froid du cuivre me brûlait les doigts. Puis je n’osais pas. — Ne croyez point que ce fût chez moi simplement de la timidité. L’impuissance à l’action est bien un trait de mon caractère, mais quand je ne suis pas soutenu dans cette action par une idée. Que l’idée soit là, et elle m’infuse une invincible énergie jusqu’au fond de l’être. Même d’aller à la mort me paraît alors aisé. On le verra bien, si je suis condamné. Non, ce qui me paralysait auprès de Mlle de Jussat comme d’une influence magnétique, c’était, je m’en rends compte sans bien me l’expliquer, sa pureté. Cela