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LE DISCIPLE

dissant, cette lave avait dressé comme une barrière au cours d’eau qui s’étalait maintenant en lac, et l’eau de ce lac irait aussi s’évaporant, à mesure que l’atmosphère irait diminuant, — ces quatorze pauvres kilomètres d’air respirable qui environnent la planète. Je fermais les yeux, et je le sentais rouler, ce globe mortel, à travers le vide infini, inconscient des petits univers qui vont et qui viennent sur lui, comme l’immense espace est inconscient des soleils, des lunes et des terres. La planète roulera ainsi quand elle ne sera plus qu’une boule sans air et sans eau, d’où l’homme aura disparu, comme les bêtes et comme les plantes. Au lieu de me procurer la sérénité du contemplateur, cette vision de l’irrémédiable écoulement me faisait me ramasser et sentir avec terreur cette conscience de ma personne, la seule réalité que j’eusse à moi, et pendant combien de temps ? À peine un point et un moment ! Je me souvenais alors d’une phrase naïve que Marianne disait en pleurant, un jour que je lui avais fait de la peine : « On n’a que soi… » répétait cette fille a travers ses larmes, « on n’a que soi… » Et moi aussi je les redisais, ces syllabes, et j’en extrayais tout le sens. Puisque, dans cette fuite irréparable des choses, ce point et ce moment de notre conscience demeurent notre unique bien, il faut en exalter, en exaspérer l’intensité. Je repoussais les papiers sur lesquels j’étais en train d’écrire ma confession