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LE DISCIPLE

Elle m’amait toujours. Elle m’aimait davantage encore. Que m’importait qu’elle ne m’eût pas donné la main à notre première rencontre ; qu’elle m’eût à peine parlé dans le vestibule ; qu’elle montât les marches du grand escalier avec sa mère sans détourner la tête ? Elle m’aimait. Cette certitude, après un si long dessèchement d’anxiété, m’inondait le cœur d’un flot de joie à me trouver mal, là, sur le tapis de cet escalier que je dus gravir à mon tour pour remonter dans ma chambre. Qu’allais-je faire, cependant ? Accoudé sur ma table et contenant mon front avec mes mains pour réprimer les battements de mes tempes, je me posai cette question sans rien y répondre, sinon que je ne pouvais plus m’en aller, que cela ne pouvait pas finir entre Charlotte et moi sur une absence et sur un silence ; enfin que nous approchions d’une heure où tant d’efforts réciproques, de luttes cachées, de désirs combattus de part et d’autre, nous précipitaient vers une scène suprême. Cette scène, je la sentais toute proche, tragique, décise, inévitable. D’abord, Charlotte était contrainte de subir ma présence. Quoi qu’elle en eût, nous devions nous rencontrer au chevet de son frère, et, ce matin même de son arrivée, quand ce fut mon tour d’aller tenir compagnie au petit malade, vers onze heures, je la trouvai là, qui causait avec lui, tandis que la marquise interrogeait la sœur Anaclet, toutes deux se parlant à