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LE DISCIPLE

les yeux fixés sur moi, et brillant cette fois d’un feu tragique. Elle avait retiré ses mains des miennes, croisé ses bras sur sa poitrine, et, tout enveloppée de ses cheveux, comme éloignée de moi par une horreur invincible, elle dit, lorsque je m’arrêtai de la supplier :

— « Ainsi, vous ne voulez pas tenir votre parole ?… »

— « Non, » balbutiai-je, « je ne peux pas… Je ne peux pas… Je ne savais pas ce que je disais.. »

— « Ah ! » dit-elle avec un cruel dédain sur ses belles lèvres qui tremblaient, « mais dites-moi donc que vous avez peur !… Donnez-moi le poison. Je vous la rends pour vous, cette parole… Je mourrai seule… Mais m’avoir attirée dans ce piège ainsi… Lâche ! lâche ! lâche ! »

Pourquoi je n’ai pas bondi sous cet outrage, pourquoi je n’ai pas pris de moi-même la fiole de poison, pourquoi je ne l’ai pas mise sur mes lèvres devant elle, en lui disant : « Regardez si je suis un lâche… » je ne le comprends pas quand j’y songe, quand je me souviens de l’implacable mépris empreint alors sur ce visage. Il faut croire qu’en effet, à cette minute, j’avais peur, moi qui maintenant marcherais à l’échafaud sans trembler, moi qui ai le courage de me taire depuis trois mois en risquant ma tête. Mais c’est que maintenant une idée me soutient, une volonté