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LE DISCIPLE

extrême, et sa voix devint âpre pour répéter :

— « Le poison, Donnez-moi le poison… » Puis, comme répondant à une pensée qui se présentait tout d’un coup à son esprit, elle ajouta fébrilement : « Non, ce n’est pas possible… »

— « Non, » m’écriai-je en me jetant à genoux devant le lit et saisissant ses mains, « Non, tu dis vrai, ce n’est pas possible… Je ne peux pas te laisser mourir devant moi, pour moi, t’assassiner… Je t’en supplie, Charlotte, ne me demande pas de réaliser ce funeste projet… Quand je l’ai acheté, ce poison, j’étais fou, je croyais que tu ne m’aimais pas… Je voulais me tuer. Ah ! sincèrement !… Mais aujourd’hui que tu m’aimes, que je le sais, que tu t’es donnée à moi, non, je ne peux pas, je ne veux pas… Vivons, mon amour, vivons, consens à vivre… Nous partirons ensemble, si tu veux. Nous avons le droit de nous épouser. Nous sommes libres… Et si tu ne veux pas, si tu te repens de ces heures d’abandon, hé bien ! je souffrirai le martyre ; mais, je te le jure, ce sera comme si ce n’avait jamais été, rien de moi ne gênera ta vie… Mais t’aider à mourir, te tuer, toi… Non, non, non, ne me le demande plus… »

Combien de temps lui parlai-je ainsi et que lui dis-je encore ? Je ne sais plus. J’épiais sur son visage une émotion douce, une faiblesse de femme, un de ces « oui » du regard qui démentent le « non » que prononce la bouche. Elle se taisait,