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LE DISCIPLE

personnages que désignent les observations médicales : « À…, 35 ans…, telle profession…, célibataire… » Et l’exposition du cas se développe, sans un détail qui donne au lecteur la sensation de l’individuel. Pour tout dire, jamais le théoricien rigoureux des passions, l’anatomiste minutieux de la volonté, n’avait regardé bien en face une créature de chair et d’os ; en sorte que le mémoire de Robert Greslou ne se trouvait pas seulement parler à sa conscience d’honnête homme. Il devait mordre et il mordait sur l’imagination du philosophe à la manière dont la clarté du soleil mord sur la pupille d’un malade opéré soudain de la cataracte. Aussi, pendant les huit jours qui suivirent cette première lecture, ce fut comme une obsession continuelle, et cette obsession augmenta la douleur morale en la doublant d’une sorte de malaise physique. Ce cerveau de manieur d’abstractions subissait l’étreinte obsédante d’un cauchemar précis et concret. Le psychologue le voyait, son funeste disciple, tel qu’il l’avait vu là, dans cette même chambre, posant les pieds sur ce même tapis, appuyant son bras sur cette même table, respirant, bougeant. Derrière les mots écrits sur le papier, il entendait cette voix un peu sourde qui lui prononçait la terrible phrase : « J’ai vécu avec votre pensée et de votre pensée, si passionnément, si complètement… » Et les mots de la confession, au lieu