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LE DISCIPLE

fatalisme mahométan ne s’est pas exprimé avec une précision plus absolue.

Des spéculations de cet ordre ne semblent guère comporter que la plus affreuse aridité d’imagination. Aussi le mot que M. Sixte disait souvent de lui-même : « Je prends la vie par son côté poétique… » paraissait-il à ceux qui l’entendaient le plus absurde des paradoxes. Et cependant rien de plus exact, eu égard de la nature d’esprit spéciale des philosophes. Ce qui distingue essentiellement le philosophe-né des autres hommes, c’est que les idées, au lieu d’être pour son intelligence des formules plus ou moins nettes, sont vivantes et réelles, comme des êtres. La sensibilité chez lui se modèle sur la pensée au lieu que chez nous tous il s’établit un divorce, plus ou moins complet, entre le cœur et le cerveau. Un prédicateur chrétien a marqué admirablement la nature de ce divorce quand il a prononcé cette phrase étrange et profonde : « Nous savons bien que nous mourrons, mais nous ne le croyons pas. » Le philosophe, lui, quand il l’est par passion, par constitution, ne conçoit pas cette dualité, cette vie dispersée entre des sensations et des réflexions contradictoires. Aussi n’étaient-ce pas pour M. Sixte de simples objets de spéculation que cette universelle nécessité des choses, que cette métamorphose indéfinie et constante des phénomènes les uns dans les autres, que ce colossal travail de la