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LE DISCIPLE

seur qu’il lui ordonnât de parler. Vous lui avez pris la foi, monsieur ; je ne vous le reproche plus, je ne vous eu veux plus ; mais ce que j’aurais demandé au prêtre, je viens vous le demander… Si vous l’aviez entendu, quand il est revenu de Paris ! Il me disait de vous : « Tu ne le connais pas, maman ; tu le vénérerais. C’est un saint. » Ah ! promettez-moi de le faire parler. Qu’il parle, qu’il parle, pour moi, pour son père, pour ceux qui l’aiment, pour vous, monsieur, qui ne pouvez pas avoir eu pour élève un assassin. Car c’est votre élève, vous êtes son maître. Il vous doit de se défendre, comme à moi, sa mère… »

— « Madame, » dit le savant avec un sérieux profond, « je vous promets de faire ce que je pourrai. » C’était la seconde fois de la journée que cette responsabilité de maître à élève se dressait devant lui. Elle l’avait trouvé, devant le juge, tendu dans la résistance du penseur qui repousse avec dédain un reproche insensé. Les paroles de cette femme âgée, frémissante de cette douleur humaine à laquelle sa vie d’ermite intellectuel l’avait si peu habitué, touchaient en lui des fibres autres que celles de l’orgueil. Il fut plus étrangement remué encore quand Mme Greslou, lui saisissant la main, reprît avec une douceur qui démentait l’âpreté de son accent de tout à l’heure :

— « Il m’avait bien dit que vous étiez bon, très bon… Je suis venue encore, » continua-t-elle