Page:Bourget - Le Disciple.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
LE DISCIPLE

Sixte demeura longtemps plongé dans es réflexions. Prenant ensuite le manuscrit remis par Mme Greslou, il lut et relut la phrase écrite par le jeune homme, et repoussant le cahier tentateur, il se mit à se promener dans la pièce, indéfiniment. Par deux fois, il saisit ces feuillets et s’approcha du feu, puis il ne les lança pas dans les flammes. Un combat se livrait dans sa tête, entre la curiosité irrésistible que cette confession de son disciple éveillait en lui et des appréhensions d’ordre très divers. Il le sentait : contracter l’engagement que cette lecture lui imposait et apprendre ce qu’il pouvait apprendre par ces pages le jetterait dans une situation peut-être horrible. S’il allait tenir entre ses mains la preuve de l’innocence du jeune homme sans avoir le droit de la donner, ou, ce qu’il redoutait plus encore, de sa culpabilité ? Sans qu’il s’en rendit compte, il tremblait aussi, dans le fond le plus intime de lui-même, de retrouver à travers ce mémoire, s’il y avait crime, la trace de son influence, à lui, et la cruelle accusation, déjà formulée deux fois, que ses livres étaient mêlés à cette sinistre histoire. D’autre part, son égoïsme inconscient d’homme d’études et qui avait en horreur tout tracas lui faisait souhaiter de ne pas entrer plus avant dans un drame auquel en définitive il n’avait pas à se mêler. « Non, » conclut-il, « je ne lirai pas ce mémoire ; j’écrirai à ce garçon comme j’ai promis