Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/17

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toutes nos destinées de cœur, si cachée que soit cette action d’événements en apparence très étrangers à notre intime sensibilité. – Agathe et Madeleine étaient des demoiselles Hennequin, de la maison HENNEQUIN, Gazes et Rubans, l’une des plus importantes, il y a dix ans, de la rue des Jeûneurs. Ayant perdu leur père et leur mère, très jeunes, à quelques semaines de distance, leur dot d’orphelines avait été assez considérable pour leur permettre n’importe quel mariage. Agathe avait épousé un homme titré et ruiné, un comte de Méris, dont elle était veuve. Celui-ci avait, par hasard, hérité lui-même d’un oncle, avant de mourir, en sorte que la jeune femme restait seule, sans enfants, avec plus de cent vingt mille francs de rente. Madeleine, elle, s’était mariée, plus simplement et plus bourgeoisement, à un médecin de grand avenir dont la clientèle grandissait chaque jour, et le ménage n’avait pas à dépenser beaucoup moins que la veuve. Ces chiffres expliqueront, à qui connaît Paris, quelles toilettes d’un luxe léger et coûteux les deux sœurs promenaient sur ce quai de gare. C’est comme une livrée que toutes les jolies femmes revêtent aujourd’hui, à certaine hauteur de budget. Seulement si la robe de mohair noir et la mante de drap noir passementée de blanc qu’Agathe portait pour le voyage venaient d’une même maison et du même rang que le costume de serge blanche de Madeleine,