Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/62

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quarte avec ce doigté…, » insista Favelles, et, de sa canne, il esquissa un mouvement de fleuret. L’homme du second Empire avait été naturellement dans sa jeunesse un de ces friands de la lame, comme il y en eut tant aux environs de 1865. Une grimace de souffrance contracta son visage, tandis qu’il étendait de nouveau son bras en tournant son poignet raidi et remuant ses doigts noueux. Il exécuta pourtant plusieurs mouvements, puis appuya son bâton à terre en disant un : « Voilà après dix-sept bains… » triomphal, qui plissa dans un demi-sourire les fines lèvres de Madeleine. Un sourire semblable passa sur le visage d’habitude si tragique du commandant. C’était le signe qu’avec un peu de bonheur et de paix, une enfantine gaieté renaîtrait vite dans cet homme sur lequel pesaient trop d’années d’une trop ardente et trop pénible tension. Le vaniteux baron était si fier de ne plus cheminer, courbé et traînant la patte, qu’il ne remarqua pas ce double sourire, et tous les trois s’engagèrent dans l’allée où la petite gambadait toujours en fouettant de sa corde le gros sable bleu pris au lit du Rhin. Mme Liébaut et Brissonnet se taisaient ou presque, et Favelles s’épanchait en souvenirs. Malgré son constant souci d’être à la mode, le besoin de conter faisait sans cesse de lui le classique vieillard de la légende :

laudator temporis acti.