Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/72

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elle sa fille rougissante de curiosité. Ces quelques propos avaient été échangés si rapidement que Madeleine se trouva avoir prononcé cette prière, de nouveau, sans presque s’en être rendu compte. Favelles avait familièrement placé une chaise à côté de sa chaise à elle. Il s’y était assis, pendant que Brissonnet restait debout. La phrase de Mme Liébaut équivalait à une autorisation de s’asseoir à son tour. Sur le visage de l’officier passa une contrariété. Les récits de ses propres aventures lui étaient toujours désagréables. À cette minute, et dans la présence de cette femme qui avait fait sur lui une trop profonde impression depuis ces quarante-huit heures, ce désagrément allait jusqu’à la souffrance. Il s’exécuta pourtant avec cette simplicité un peu fruste qui est souvent celle des gens de guerre. Elle a son charme puissant quand on la sent très vraie et non jouée.

– Cette fois-là, » dît-il, « tout est arrivé par ma faute… Ou plutôt, » rectifia-t-il, « par la faute du hasard. Voici la chose. Nous étions en train, cinquante hommes et moi, de procéder à une reconnaissance. Le chef ne nous avait pas caché qu’il redoutait beaucoup les parages où il nous envoyait, habités par des anthropophages… Mes hommes étaient braves, mais, ce jour-là, le troisième depuis que nous avions quitté le camp, je les sentais flotter. Pourquoi ? Ces paniques