Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

latentes ne s’expliquent pas. Il faisait une chaleur terrible. Nous venions de marcher ces quarante-huit heures le long d’un lac vaste comme une mer, sans rencontrer un être vivant, sous d’énormes arbres. Nous allions, emboîtant le pas l’un à l’autre, en file indienne, et moi le dernier. À un moment la file entière s’arrête. Je cours en avant pour savoir la cause de cette soudaine immobilité, et je vois, à cinquante mètres, un lion debout, énorme, qui nous regardait. Je fais signe à mes hommes de ne pas bouger. Le plus tranquillement que je peux, je prends mon fusil, je l’arme et je mets le genou en terre pour ajuster la bête. Je commandais, c’était à moi de donner l’exemple du sang-froid… Le lion me regardait avec étonnement, en se fouettant les flancs avec la queue. Je lâche mon coup. Je me croyais très sûr de ma balle. Je l’avais seulement blessé, et d’une blessure légère qui n’intéressait aucun muscle, car il commença à marcher sur moi, en pataud, très lourdement. Ils n’ont de légèreté que lorsqu’ils bondissent. J’avais une seconde balle à tirer. Je ne voulais la placer qu’à coup sûr. J’attendais donc, et voilà que, tout d’un coup, une pétarade éclate à mes côtés, au-dessus de moi, autour de ma tête. C’étaient mes hommes qui, sans ordre, fusillaient le lion, – et qui le manquaient. La bête s’arrête, comme stupéfaite, et, se ramassant, elle bondit. Quand j’ai vu en l’air ce grand ventre