Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/93

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ne se doutait guère en traçant les lettres du nom de ce petit village qu’il servirait de théâtre à une scène toute voisine d’être tragique. Le hasard qui, par moments, se prête à nos imprudents projets avec une complaisance où l’on a peine à ne pas discerner une fatalité, allait avancer tout d’un coup l’intimité entre elle et Louis Brissonnet, de manière à suppléer à ce qu’il eût fallu de temps pour que leurs relations fussent ce qu’elle avait désiré. Cet épisode devait équivaloir à des mois de connaissance !

Quiconque a suivi ces chemins des environs de Ragatz par une belle journée du mois d’août comprendra quelle place la mémoire de ces paysages traversés ainsi aurait prise dans l’imagination d’une créature romanesque et déjà troublée à son insu, même si la promenade s’était achevée sans incidents. Toujours elle eût revu, dans un coin obscur de sa rêverie, le profil méditatif de l’officier d’Afrique détaché sur cet admirable horizon. Il était assis sur la banquette de devant dans le landau. Il regardait tour à tour ces aspects variés d’une nature sublime, et, quand il se croyait sûr de n’être pas remarqué, ce visage de femme. Elle était inconnue de lui la semaine précédente, – et elle venait de prendre toute sa vie ! Il se taisait. Madeleine, elle, comme épanouie au charme de ces heures, de ce ciel si doux,