Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/145

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Françoise occupée à son dîner. Il vaqua aux soins minutieux que les jeunes gens prennent d’eux-mêmes, dans ces moments-là, par une puérilité de coquetterie pire que celle des femmes, sans avoir encore le courage de se dire nettement : « J’irai rue Murillo, » et maintenant ce n’était plus à sa timidité qu’il demandait de la force contre le désir qui grandissait, grandissait en lui. Les objets de sa chambre venaient de lui rappeler Rosalie. Avec la probité sentimentale, naturelle au cœur tout jeune, il s’appliqua longuement à se représenter ses devoirs envers la pauvre enfant. « Si elle recevait à mon insu un homme qui lui plairait comme me plaît madame Moraines, qu’en penserais-je ? … » — « Mais, reprenait la voix tentatrice, tu es un artiste, tu as besoin de sensations nouvelles, d’une expérience du monde. Est-ce que tu vas chez madame Moraines pour lui faire la cour ? … » En ce moment il déboucha, afin d’en jeter deux gouttes sur son mouchoir, un flacon de white rose qu’il avait sur sa table de toilette. Le pénétrant arome fit courir dans ses veines cette espèce de frisson, cette chaude ondée de désir, ivresse et tourment de la passion naissante chez les natures, comme la sienne, ardentes et contenues. Depuis qu’il aimait Rosalie, il était redevenu entièrement chaste, par un scrupule de fiancé secret. Toute sa réserve de jeunesse fut