Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/146

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remuée à la fois par ce parfum, à travers lequel il revit ce qu’il y avait de moins idéal dans la femme à propos de laquelle il essayait de se donner à lui-même des motifs intellectuels d’admiration : sa nuque dorée, sa bouche rouge aux dents blanches, sa gorge, ses épaules et la nudité de son bras sur laquelle blondissait comme un duvet d’or.— Que pouvait l’idée de la loyauté à l’égard de Rosalie, contre ces visions ? Il était cinq heures. René sortit, remonta dans le fiacre et dit : « Rue Murillo. » Tout le long de la route il ferma les yeux, tant était douloureuse l’acuïté de sa sensation d’attente. Il s’y mêlait de la honte pour sa propre faiblesse, une appréhension de l’inconnu, une joie profonde à la pensée qu’il allait revoir ce visage aux traits menus, — enfin un peu de cette folle espérance, d’autant plus grisante qu’elle est plus indéterminée, qui pousse cet âge sur des routes nouvelles, simplement parce qu’elles sont nouvelles. L’impression de la durée, si nécessaire à l’homme fait qui a jugé la vie et la sait trop courte, est odieuse aux très jeunes gens. Ils sont changeants et par suite perfides, comme ils ont vingt-cinq ans, par le plus naïf des instincts de leur être. Celui-ci, qui valait mieux que beaucoup d’autres, avait déjà irréparablement trahi en pensée la jeune fille dont il se savait aimé, quand sa voiture le déposa devant