Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/155

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venait de faire allusion madame Moraines. Ses deux auteurs préférés étaient, en poésie, Théophile Gautier pour la forme carrée de sa strophe et la précision de ses métaphores, le dur Flaubert, en prose, pour la netteté métallique du style et l’impersonnalité volontaire de l’œuvre. Mais que Suzanne vît dans son père un protecteur éclairé des lettres, cela lui plaisait en lui prouvant la droiture de son cœur de fille. Cela lui plaisait aussi qu’elle caressât dans sa pensée la chimère d’un art tout en délicatesses presque mièvres. Une telle façon de comprendre la beauté suppose, quand elle est sincère, une réelle pureté intérieure.— Quand elle est sincère ? … René se fut méprisé de se poser seulement une telle question en présence de cet ange qui semblait à peine peser sur son fauteuil, et dont les yeux se noyaient de songe. Il balbutia, plutôt qu’il ne répondit, une phrase aussi vague que celle dont madame Moraines avait habillé sa pensée, parlant du sentiment exquis des femmes en littérature, lui, l’admirateur forcené non seulement de Gautier, mais de Baudelaire ! Fut-elle assez fine pour comprendre à son accent qu’elle ferait fausse route si elle insistait ? Ou la profonde ignorance dans laquelle, comme tant de mondaines, elle se laissait vivre, ne lisant jamais que le journal et quelques mauvais romans en chemin