Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/156

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de fer, la rendait-elle incapable de soutenir une conversation de cet ordre, avec des noms à l’appui de ses idées ? Toujours est-il qu’elle ne s’attarda point sur ce sujet périlleux, et qu’elle passa vite de cette question de l’Idéal dans l’art à cet autre problème, plus féminin, de l’Idéal dans l’amour. Elle sut prendre, en prononçant ce mot : « l’Amour, » dans lequel se résument tant de choses contradictoires, une physionomie si discrète que René eut comme la délicieuse émotion d’une confidence échangée. C’était là une matière réservée et sur laquelle cette femme, évidemment supérieure à toute galanterie, devait se taire quand elle n’était pas en plein courant de sympathie.

— « Ce qui me plaît encore tellement dans le Sigisbée, » disait-elle, avec sa voix d’une musique fine, « c’est la foi dans l’amour qui s’y révèle, et l’horreur des coquetteries, des mensonges, de toutes les vilenies qui déshonorent le plus divin des sentiments de l’âme humaine… Ah ! croyez-moi, » ajouta-t-elle en appuyant son front sur sa main, par un geste de réflexion profonde et enveloppant le jeune homme d’un regard si sérieux qu’elle semblait y mettre toute sa pensée ; « croyez-moi, le jour où vous douterez de l’amour, vous cesserez d’être poète… Mais il y a un Dieu pour veiller sur le génie, » continua-t-elle