Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/159

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aussi, et il dut se rasseoir près de la petite table sur laquelle chantait l’eau de la bouilloire. Il la regardait, en train de faire adroitement aller et venir ses mains fines, des mains soignées comme des objets, parmi toutes les fragiles porcelaines dont le plateau était surchargé. Et elle causait, mais, cette fois, de toutes sortes de menus détails de la vie, versant le thé très noir d’abord dans la tasse, et lui racontant d’où elle avait ce thé, — puis l’eau bouillante, et le questionnant sur la manière dont il préparait son café, quand il voulait travailler. Elle finit par s’asseoir elle-même à côté de lui, après avoir disposé pour tous deux les serviettes où mettre les tasses, les assiettes des rôties, les tranches de gâteaux, le pot de crème. C’était une vraie dînette de pensionnaire qu’elle avait improvisée de la sorte, avec cette intimité de gâterie où excellent les femmes. Elles savent si bien que les plus farouches ont des besoins enfantins d’être câlinés, enveloppés de petits soins, et qu’avec cette monnaie de la fausse affection elles leur prendront le cœur si vite ! Suzanne interrogeait le poète maintenant ; elle se faisait raconter les impressions qu’il avait éprouvées à la première représentation du Sigisbée. Elle achevait son œuvre de séduction en le contraignant de parler sur lui-même. Toute sauvagerie avait disparu de René, auquel il semblait qu’il