Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/164

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sans en rapporter deux pages de notes utiles.— Moi, j’en suis à comprendre ce goût de causer devant des phonographes, — et des phonographes bêtes ou qui mentent ! … »

— « Ah ! » dit Suzanne, en prenant la main du baron entre les siennes et le regardant avec des yeux où se lisait une admiration trop vive pour n’être pas sincère, « que je suis heureuse de vous avoir rencontré pour me diriger dans la vie ! Quel coup d’œil vous avez, quelle finesse ! … »

— « Un peu de jugeotte, » repartit Desforges en hochant la tête, « cela empêche de commettre les trois quarts des mauvaises actions qui ne sont que des bêtises. Toute ma science de la vie, c’est d’essayer de jouir de mon reste… Il est compté, ce reste… Savez-vous que j’aurai cinquante-six ans dans six jours, Suzanne ? »

Elle secoua sa jolie tête blonde, et s’approcha encore de lui qui venait, tout en parlant, de faire quelques pas de long en large à travers la chambre. Par un geste dont on n’aurait pu dire s’il était lascif ou pur, car une grande fille aurait mendié ainsi un baiser à son père, elle mit sous les lèvres du baron un de ses yeux d’abord, puis le coin de sa fine bouche où se creusait une fossette.

— « Allons, » dit-elle, « voulez-vous du thé ?