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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/17

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beaucoup d’écrivains d’analyse, il était habitué à s’étudier et à se juger sans cesse, étude et jugement qui n’avaient d’ailleurs aucune influence sur ses actions. Les plus menus détails lui servaient de prétexte à des retours sur lui-même et sa destinée, mais le seul résultat de ce dédoublement continuel était de l’entretenir dans une lucidité inefficace et douloureuse de tous les instants. C’est ainsi que la vue de la paisible rue et le souvenir de Victor Hugo eurent pour conséquence immédiate de lui rappeler les résolutions d’existence retirée et de travail réglé qu’il formait en vain depuis des mois. Il réfléchit qu’il avait une nouvelle promise à une revue, un drame promis à un théâtre, des chroniques promises à un journal, et qu’au lieu d’être assis à la table de son appartement de la rue de Varenne, il courait Paris à dix heures du soir dans le costume d’un oisif et d’un snob. Il passerait cette fin de soirée et une partie de la nuit à une fête donnée par la comtesse Komof, une grande dame russe établie à Paris, dont les réceptions dans son énorme hôtel de la rue du Bel-Respiro étaient aussi fastueuses que mêlées. Il se préparait à faire pis encore. Il venait chercher, pour le conduire chez la comtesse, un autre écrivain, plus jeune que lui de dix années, et qui avait mené jusqu’alors, dans une des maisons de