Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/18

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cette discrète, de cette taciturne rue Coëtlogon, précisément la noble vie d’assidu labeur dont la nostalgie le torturait lui-même. René Vincy— c’était le nom de ce jeune confrère— venait, à vingt-cinq ans, d’émerger du coup au grand soleil de la publicité, grâce à une de ces bonnes fortunes littéraires qui ne se renouvellent pas deux fois par génération. Une comédie en un acte et en vers, le Sigisbée, œuvre de fantaisie et de rêve, écrite sans aucune idée de réussite pratique, l’avait rendu célèbre du jour au lendemain. Ç’avait été, comme pour le Passant de notre cher François Coppée, un engouement subit du Paris blasé, un battement de mains universel dans la salle du Théâtre-Français, et le lendemain une louange universelle dans les articles des journaux. Ce succès étonnant, Claude pouvait en revendiquer sa part. N’avait-il pas eu le premier entre les mains le manuscrit du Sigisbée ? Ne l’avait-il pas apporté à sa maîtresse, Colette Rigaud, l’actrice fameuse de la rue de Richelieu ? Et Colette, engouée du rôle qu’elle entrevoyait dans la pièce, avait forcé toutes les résistances. C’était lui, Claude Larcher, qui, interrogé par madame Komof sur le choix d’une comédie à donner dans son salon, avait indiqué le Sigisbée. La comtesse avait accédé à cette idée. On jouait chez elle la saynète à la mode ce soir