Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/179

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en lui procurant une maîtresse désirable et commode, un intérieur à son goût, et ce qu’il appelait son « emploi de soirée. » Il eut bientôt jugé la situation de madame Moraines, et calculé que c’était là exactement la femme qu’il rêvait : adorablement jolie, spirituelle, garantie de tout ennui probable de paternité par six années d’une union sans enfant, un mari avouable et qui ne deviendrait jamais un maître chanteur. Il mit en ligne tous ces avantages, le futé baron, et, petit à petit, en confessant Suzanne, en lui prouvant son attachement par la place obtenue pour Moraines, en lui faisant accepter des cadeaux après des cadeaux, en lui montrant ce tact exquis de l’homme mûr qui demande surtout à être toléré, il la conduisit au point où il désirait. Et cela se fit d’une manière si lente, si insensible ; et, une fois établie, cette liaison devint quelque chose de si simple, de tellement mêlé au quotidien de l’existence, que la culpabilité de ses rapports avec Desforges échappait presque à Suzanne. Quel tort faisait-elle à Moraines, au demeurant ? N’était-elle pas sa femme et véritablement attachée à lui ? Quant au baron, c’est vrai qu’il suffisait à toute une portion de son luxe. Mais quoi ? Est-il défendu de recevoir des cadeaux ? S’il payait une note par ci, une note par-là, y avait-il quelqu’un au monde à