Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/201

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homme. Elle n’avait qu’à rendre visite à madame Komof : « Elle est justement chez elle après six heures. » Elle avisa un fiacre et se fit conduire rue du Bel-Respiro. Elle eut la chance de trouver la comtesse seule et n’eut pas de peine à obtenir le renseignement qu’elle désirait. L’excellente femme, dont la soirée avait réussi, ne tarissait pas sur son poète :

— « Idéal ! » disait-elle avec ses grands gestes, « Ravissant ! … Et modeste ! … Ce sera votre Pouschkine de la fin du siècle… »

— « Savez-vous où il habite ? » insinua Suzanne. « Il est venu me voir et il a laissé son nom simplement. »

Quand son billet fut écrit et envoyé, elle vécut dans cette incertitude dont l’amour naissant se nourrit si bien que les professeurs en séduction recommandaient d’abord de provoquer cette fièvre, du temps que ce vice étrange et tout intellectuel était à la mode. René viendrait-il ? Ne viendrait-il pas ? S’il venait, comment entrerait-il ? Elle verrait bien au premier regard si aucun nuage n’avait terni le clair souvenir qu’elle était sûre de lui avoir laissé d’elle à leur entrevue de l’autre jour. Enfin, l’heure qu’elle avait fixée dans son billet arriva, et quand le domestique introduisit le jeune homme, son cœur à elle battait peut-être plus vite que celui de son