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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/202

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naïf amoureux. Elle le regarda et elle lut jusqu’au fond de son être. Oui, elle était toujours pour lui la madone qu’elle s’était improvisée dès le premier jour, avec cette souplesse dans la métamorphose qui distingue ces Protées en jupons. Il avait, dans ses prunelles d’un bleu sombre et tendre, le plus touchant mélange de joie et de timidité : joie de la revoir si vite, appelé par elle, dans ce même petit salon ; timidité de comparaître devant cet ange de pureté après s’être permis de la chercher à l’Opéra et de l’attendre au coin de sa rue. La gracieuse comédienne avait, cette fois, arrangé à sa beauté un autre décor. Elle était assise auprès de la fenêtre, et elle travaillait à un ouvrage, une espèce de frange qui se parfile avec de la soie et des épingles piquées sur un tambour de drap vert. Derrière elle, les rideaux de guipure, relevés par leur embrasse, laissaient apercevoir, à travers la vitre, le fond de paysage du parc Monceau, l’azur pâle du ciel, les arbres gris, le gazon jaune, et, du côté des ruines, la noire verdure des lierres. Un soleil de février éclairait ce paysage frileux, et ses rayons caressaient les cheveux de Suzanne avec de doux reflets d’or. Une robe faite pour la chambre, blanche avec des broderies violettes, d’une forme fantaisiste, et garnie de larges manches ouvertes, lui donnait une physionomie