Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/226

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Suzanne cédait la place à celle de Rosalie. En feuilletant au hasard ses papiers, il rencontrait sans cesse quelque page en tête de laquelle il avait écrit enfantinement : « Pour la fleur, » c’était Rosalie qu’il désignait ainsi aux temps déjà lointains où il l’aimait ; alors il lui composait un petit poème presque chaque jour.

Ô Rose de candeur et de sincérité,

lui disait-il à la fin d’un de ces poèmes. Lorsque des vers pareils à celui-là tombaient sous ses regards, il devait encore poser la plume, et les choses autour de lui s’évanouissaient de nouveau, mais cette fois pour céder la place à une vision torturante… Le rez-de-chaussée des Offarel s’évoquait, froid et silencieux. La vieille mère allait et venait parmi ses chats. Angélique feuilletait son dictionnaire anglais, et Rosalie le regardait, lui, René. Oui, elle le regardait à travers l’espace, avec des yeux sans un reproche, mais où il lisait l’infinie détresse. Il savait, comme s’il eût été auprès d’elle, là-bas, et la douleur de sa jalousie, et qu’elle avait deviné son secret. Sans cela eût-il eu cette épouvante d’affronter ces yeux de jeune fille ? Ah ! s’il pouvait aller lui dire : « Ne soyons plus qu’amis ! … » C’était son devoir d’agir de la sorte. La loyauté absolue est le seul moyen que l’on conserve de